Louis Banga Ntolo, Directeur Général de la BVMAC : "La BVMAC veut s’inspirer du modèle de la BRVM"

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Louis Banga Ntolo, Directeur Général de la Bourse des valeurs mobilières d'Afrique centrale:

La BVMAC veut s'inspirer du modèle de la BRVM

 

Numéro 2 de Société Générale Cameroun durant 10 ans avant de diriger Société Générale Capital Securities Central Africa, Louis Banga Ntolo a pris depuis 2 ans les commandes du marché financier de la CEMAC. Un marché en pleine ascension dont le potentiel est perceptible à travers la forte croissance de la capitalisation de ses compartiments action et obligation ces trois dernières années. Dans cet entretien accordé à Sika Finance, il partage ses ambitions et les projets qu'il entend implémenter pour accélérer la dynamique amorcée par la BVMAC.

Dr. Louis Banga Ntolo, vous êtes le Directeur Général de la Bourse des valeurs Mobilière de l'Afrique centrale (BVMAC) depuis 2 ans, mais présent sur le marché financier de l'Afrique Centrale depuis une bonne vingtaine d'années. Quelle est votre appréciation de l'évolution de ce marché ?

Je dirai avant toute chose que le marché financier de l'Afrique centrale est jeune. Il naît d'une fusion en 2019, de deux entités qui avaient du mal à émerger chacune dans son coin à savoir la BVMAC qui était basée à Libreville au Gabon et la Douala Stock Exchange ici au Cameroun. Les Chefs d'État de la CEMAC ont vu qu'il y avait une concurrence fratricide qui tirait tout le monde vers le bas et ils ont décidé lors de leur Conférence à N'Djamena en octobre 2017, de fusionner les deux entités ainsi que toutes les composantes du marché.

Concernant l'entreprise de marché, la fusion a permis de manière arithmétique d'afficher 4 sociétés cotées sur le compartiment action. Actuellement, nous en sommes à 6, ce qui représente un bond de 50% du nombre de sociétés cotées en bourse. La capitalisation boursière a suivi le même trend ; elle est aujourd'hui (interview réalisée à mi-octobre 2023, ndlr) de 460 milliards FCFA venant d'à peine 150 milliards FCFA au moment de la fusion. De la même manière, sur le compartiment des Obligations, nous avons un encours qui est largement en hausse et qui atteint, à date, presque 1 200 milliards FCFA contre environ 560 milliards FCFA au moment de la fusion. L'évolution statistique est donc plutôt flatteuse.

L'évolution statistique de la BVMAC est plutôt flatteuse.

Une fois que cela est dit, il n'en demeure pas moins que notre marché reste embryonnaire et nous y travaillons en vue de son approfondissement. L'un des défis pour nous est de mieux expliquer l'impact économique du marché financier. Nous travaillons aussi sur le renforcement de la culture boursière, aussi bien auprès des chefs d'entreprises qui doivent avoir le réflexe de solliciter le marché financier dans leur stratégie de financement du cycle d'exploitation ou des investissements, que des investisseurs individuels et institutionnels. La dissémination de la culture boursière et la démocratisation du marché financier c'est-à-dire son accessibilité à un plus grand nombre de citoyens de la CEMAC, sont pour nous très important. Nous voulons que les populations de la CEMAC s'approprient le phénomène boursier ; nous voulons que les entreprises de la CEMAC s'approprient cet instrument. Nous remercions les Etats de la CEMAC qui montrent la voie en permettant aux entreprises de leur portefeuille de venir à la cote, ceci, dans l'espoir que le secteur privé suive le pas.

La CEMAC c'est 61 millions d'habitants, et seulement environ 8 000 comptes titres (pour les opérations de marché) selon les données de la BEAC. Qu'est ce qui explique cette faible culture boursière dans la région ? Avez-vous des pistes pour adresser cette problématique ?

Comme je l'ai dit plus haut, nous devons considérer que notre marché est jeune et apprécier les jalons franchis. Les 8 512 comptes dont vous parlez aujourd'hui sont certes faibles mais lorsque nous avons fusionné les 2 marchés il y avait moins de 6 000 comptes titres. Aujourd'hui ce nombre a grimpé même s'il reste encore insignifiant sur une masse critique de plus de 60 millions d'habitants. Nous devons d'abord travailler autour des populations bancarisées pour susciter en elles le réflexe des investissements en bourse. Nous avons aussi un défi en matière d'inclusion financière. Il s'agira d'intégrer dans la dynamique des investissements en bourse, les populations souvent exclues du secteur bancaire mais ayant une activité financière intense via des Wallets qui sont de la monnaie électronique reconnue comme moyen de paiement par la banque centrale.

Nous avons en effet identifié quelques problèmes de fond sur nos économies qui nécessitent des réformes à l'échelle de la BVMAC. Le secteur informel reste assez prépondérant et n'est pas attiré ou est exclu du système bancaire. Fort de ce constat, la question fondamentale reste de savoir comment attirer des agents économiques exclus du système bancaire vers le marché financier.  Et à cet effet, nous avons un certain nombre de pistes que nous explorons dans le cadre des réformes que nous essayons d'implémenter au niveau de la BVMAC.

Quelles sont ces réformes ?

L'une d'elles est le positionnement du Wallet comme mode de paiement de prédilection des actifs financiers cotés. Cela permettra de rendre accessible les actifs financiers cotés en Bourse à une large gamme de population y compris ceux ne disposant que des Wallets (mobile money) comme seul moyen de paiement. En effet, nous souhaitons profiter du taux de pénétration du mobile qui est très élevé. L'objectif est simple, permettre à ceux qui ont un compte Mobile Money de prendre part à une épargne sur les valeurs mobilières. Si on réussit cela, nous pensons que les chiffres évoqués plus haut devraient être multipliés par 1 000. Nous rappelons aussi que la monnaie électronique bénéficie d'un encadrement juridique de la banque centrale, donc c'est un moyen de paiement qui est sécurisé et qui est transparent.

Nous avons en projet le positionnement du Wallet (paiement électronique dont le mobile money, ndlr) comme mode de paiement de prédilection des actifs financiers cotés.

A partir de ce moment, il faut donner la possibilité à ces personnes d'interagir avec le marché et c'est là que se trouve le problème des tickets d'entrée. A mon avis les actifs financiers cotés à la BVMAC affichent encore des cours ou prix, pouvant paraître élevés pour certaines classes populaires. Les prix des actions cotées oscillent actuellement entre 20 000 FCFA à plus de 200 000 FCFA. Cela étant, pour permettre l'accès sur le marché aux comptes Mobile Money, nous allons procéder au fractionnement de la valeur des titres pour permettre à ce que ces personnes puissent accéder à des actifs financiers de grandes entreprises, à un prix d'entrée faible, mais qui n'enlève aucun droit sur les propriétaires d'actions fractionnées. C'est une réforme qui se fera avec en concertation et avec la coopération des entreprises, et qui participera à l'inclusion financière.  

En plus de ces réformes, nous savons que vous travaillez à ce que la BVMAC passe d'une cotation au fixing à une cotation en continue, au retour des Obligations à coupon zéro et à la mise en place d'un indice boursier. Où en êtes-vous exactement avec ces initiatives ?  

Toutes ces réformes, nous les avons mises sur la table de la Commission de Surveillance du marché financier de l'Afrique centrale (COSUMAF, Ndlr) lors de notre prise de poste comme directeur général de la BVMAC en janvier 2022. Le régulateur a fait ses propres ses investigations, et une mission de contrôle a eu lieu à la BVMAC pour s'assurer que notre infrastructure financière peut tenir ces réformes. Une fois terminée, le régulateur nous a demandé de réunir les acteurs pour qu'il entende leur avis sur ce que la BVMAC envisage de mettre sur pieds. Nous nous sommes alors réunis à Douala les 6 et 7 juillet 2023 et le régulateur a pris acte que le marché demande ces réformes.

S'agissant de leur implémentation, la BVMAC va soumettre une nouvelle demande à la COSUMAF en vue de démarrer dans un premier temps, les réformes ne nécessitant pas d'évolution règlementaire spécifique. L'établissement d'un indice boursier en fera partie. Cependant, les autres réformes qui nécessitent que nous retouchions nos instructions ou notre règlement général feront l'objet d'une demande ultérieure dans la dynamique globale de révision de ces textes.

Voir aussi - CEMAC : La BVMAC lance “BVMAC ASI”, son tout premier indice boursier

L'admission des PME à la cote, est-ce un chantier sur lequel vous travaillez ? Si oui, quelles sont les avancées réalisées à ce niveau ?

Le règlement général de la bourse qui est en cours de modification consacre un compartiment PME. Le vrai souci est que le compartiment PME est souvent compris comme un espace de trop de souplesse pour les entreprises qui ne peuvent pas présenter un bilan et qui n'ont pas une profondeur d'activité sur les années antérieures. Nous disons que le Compartiment PME devra en tout temps inspirer la confiance des investisseurs. Nous travaillerons avec les corporations patronales PME pour définir ensemble les critères d'accès sur le compartiment PME de la BVMAC sans en altérer le sérieux et la confiance des bailleurs de fonds que sont les investisseurs personnes physiques et morales. Mais nous réitérons que, créer un compartiment PME ne veut pas dire dérégler ou ne plus être exigeant par rapport à la qualité de la gouvernance d'une institution à savoir la performance et sa capacité à faire face à ses exigences vis-à-vis d'un public qui, lorsqu'il voit un visa d'un régulateur, pense a priori qu'il n'y a plus de risques sur l'investissement.

Le règlement général de la bourse qui est en cours de modification consacre un compartiment PME.

L'autre compartiment qui nous tient à cœur est le compartiment hors cote qui est la véranda de la bourse. Le compartiment hors cote est un compartiment non règlementé mais il y a un teneur de marché (la BVMAC) qui est comme un tiers neutre et à qui les acteurs qui veulent vendre les titres envoient les informations sur leurs intentions de vendre et il centralise les demandes en face pour ceux qui sont intéressés; on procède ensuite par un système d'adjudication des offres. Ce compartiment va permettre de poursuivre les échanges sur des titres tels que les obligations du Trésor à coupon zéro.

L'autre compartiment qui nous tient à cœur est le compartiment hors cote qui est la véranda de la bourse ...

Pour dynamiser le marché, les États de la CEMAC se sont engagés à introduire des entreprises publiques en bourse. Aujourd'hui deux sociétés ont déjà franchi le pas (SCG-Ré et Bange) et une liste d'une dizaine d'autres a été transmise à la BVMAC. Où en est le processus de cotation de ces sociétés ? Quelles sont les échéances envisagées pour la concrétisation de ce programme ?

C'est un sujet assez sensible. Cinq (05) États ont donné à la Communauté 05 listes contenant 17 noms de sociétés de leur portefeuille, susceptibles de venir à la cote. Dans cette liste, deux ont déjà franchi le pas et sont actuellement cotées, à savoir SCG-Ré et BANGE. Il reste donc 15 qui peuvent potentiellement venir sur le marché. Nous n'avons pas envie de créer des frictions entre acteurs mais il appartient d'abord aux États qui ont donné ces listes de sensibiliser les organes de gestion de ces sociétés à l'effet que compte leur soit rendu de ce que les dirigeants font des instructions gouvernementales reçues de coter les sociétés en bourse.

Il appartient ensuite aux sociétés de bourse (SDB, équivalentes des SGI dans l'UEMOA, ndlr) et à la BVMAC d'être un peu plus présents aux côtés des dirigeants de ces entreprises pour pouvoir discuter ensemble afin d'accélérer leur inscription à la cote. Et c'est dans ce cadre-là qu'une équipe de la BVMAC envisage de se rendre à Bangui (capitale de la République Centrafricaine, Ndlr) pour pouvoir discuter avec les Dirigeants des 3 entreprises que le Gouvernement Centrafricain a bien voulu déposer sur la table de la Communauté. Nous voulons faire quelque chose qui permette à ces entreprises de comprendre ce que leur Gouvernement attend d'elles  et que nous sommes là pour répondre à leurs préoccupations, ou leurs questionnements multiples.

En dehors de cela, quand on dit que les États doivent être présents et demander aux organes de gestion de rendre compte, c'est parce qu'il nous revient aussi qu'il y'a certains dirigeants notamment des administrateurs qui ont l'impression que c'est une inquisition qu'on va faire sur leurs entreprises. Nous devons répéter sans relâche que les décisions de privatisations d'entreprises publiques par introduction en Bourse participent de politiques publiques de redistribution des fruits de la croissance, opérée par un Gouvernement qui par cet acte, fait participer ses citoyens à la gestion d'une entreprise.

Un mot sur les actifs digitaux qui font l'actualité aujourd'hui dans la CEMAC. Pensez-vous que notre marché soit prêt à accueillir ces actifs ?

La BVMAC est une infrastructure de cotation, ça veut dire en principe que les actifs qui sont agréés peuvent être cotés sur notre marché en vue des négociations entre les intermédiaires. Concernant les actifs digitaux, ce que nous comprenons aujourd'hui c'est que les intermédiaires qui font du trading sur des cryptoactifs ne maîtrisent pas toujours les structures qui les ont émises ; ce qui est déjà un problème. La question est de savoir est-ce que la BVMAC peut aller jusqu'à avoir elle-même sa propre Blockchain ? Il faut qu'on en ait l'expertise et la capacité de pouvoir susciter les échanges. En tout état de cause, les actifs numériques sont désormais encadrés par les textes de la COSUMAF et il est urgent pour la BVMAC de mieux cerner ses responsabilités une fois que la COSUMAF aura agréé les premiers PSAN (prestataires de services sur actifs numériques).

La BVMAC envisage le montage d'une blockchain privée dès lors que les textes du marché instaurent les activités sur cryptoactifs.

Nous espérons néanmoins que les premiers pas de notre marché financier sur le phénomène des cryptos sera la création de jetons (tokens) issus des actifs physiques ou tout autre sous-jacent de l'économie réelle. La BVMAC s'organise donc à mieux cerner le sujet et pourquoi pas, à envisager le montage d'une blockchain privée, dès lors que les textes du marché instaurent les activités sur cryptoactifs.

Quels sont vos rapports avec la BRVM ? Et comment la BVMAC peut-elle s'appuyer sur cette dernière pour atteindre sa vitesse de croisière ?

Edoh Kossi qui venait de quitter la présidence de l'ASEA est venu ici à Douala en mai 2022 et nous avons tenu des séances de travail pour mettre en place des systèmes de partenariat. Plusieurs pistes de partenariats ont été envisagées, allant du lancement de notre indice boursier jusqu'au fractionnement de nos actions. Nous avons des contacts très étroits avec eux surtout que nous voulons nous inspirer d'un certain nombre de choses sur lesquelles ils restent pionniers. On a d'excellentes relations et à la limite, nous essayons de copier beaucoup de choses de la BRVM. Nous voulons nous inspirer de leur modèle. On a eu des discussions assez franches et c'est le rythme d'avancement de nos projets qui guidera le rythme d'intervention de leur part.

Un mot à l'endroit des investisseurs de la région et ceux de la diaspora.

Je leur dirai que le marché financier de la CEMAC est un instrument à explorer ; il ne faut pas s'en éloigner tout simplement parce qu'il y a de réelles opportunités. L'opportunité d'être un investisseur responsable qui permet à son pays de se développer en donnant de la ressource à nos États, aux entreprises, mais qui permet aussi d'avoir une certaine responsabilité sur le plan de la création d'emploi. C'est le message que j'adresse aux investisseurs, que ce soit ceux d'ici ou de la diaspora et surtout les institutionnels au niveau international pour leur dire que nos pays ont besoin de devises. Nous savons qu'il y a quelques soucis avec le rapatriement mais nous allons négocier avec la banque centrale pour qu'on puisse avoir une espèce de corridor de facilitation des rapatriements dès lors qu'on vérifie bien que les fonds qui entrent dans la CEMAC ne souffrent d'aucun problème de conformité ou de blanchiment.

Cédrick Jiongo

La Rédaction

Publié le 10/01/24 18:16

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